Musée de l'ordre de la Libération

Grenoble

Grenoble reçoit la croix de la Libération le 4 mai 1944.

La caserne de Bonne détruite
© Musée de l'Ordre de la Libération

Située en zone non occupée, et donc sous le contrôle de l'administration de Vichy, la ville de Grenoble voit rapidement se développer, après l'armistice de juin 1940, au rythme des adhésions individuelles de ses citoyens, des foyers de résistance.

Fin 1941, des antennes locales de mouvements tels "Combat" (issu d'une fusion du Mouvement de Libération nationale d'Henri Frenay avec le mouvement Liberté deFrançois de Menthon) et "Franc-Tireur" (dont les chefs à Grenoble sont Léon Martin, Eugène Chavant, Aimé Pupin et Jean Perrot) s'enracinent à Grenoble. C'est d'ailleurs à Grenoble, fin novembre 1941, dans l'appartement de Marie Reynouard,professeur au lycée Stendhal et membre du MLN, que Frenay et de Menthon décident de fusionner leurs mouvements pour former Combat.

Créé au printemps 1941, le mouvement "Front national de lutte pour la Libération et l'Indépendance de la France", initié par le Parti communiste clandestin, se développe également à Grenoble. Il produit localement, à partir de mars 1942, le journal de résistance Les Allobroges. De son côté, une petite fraction de l'armée d'armistice, que dirige le capitaine Louis Nal à travers le service du Camouflage du Matériel (CDM), se prépare secrètement à reprendre le combat, camouflant du matériel et des tonnes de munitions dans les soutes du Parc du Polygone.

Parallèlement, les autorités de Vichy, qui dès novembre 1940 ont fait interner au centre de détention de Fort Barraux des militants et responsables communistes, durcissent leur position à l'égard des résistants grenoblois qui sont arrêtés et condamnés. Vichy développe également sa politique de collaboration avec l'Allemagne, en faisant procéder notamment à l'arrestation de Juifs étrangers le 26 août 1942. Pour sa part, la population grenobloise marque son patriotisme par plusieurs manifestations massives le 14 juillet, le 20 septembre et le 11 novembre 1942.

L'Université de Grenoble fournit, à travers ses professeurs, un appui soutenu à la Résistance, tandis que plusieurs de ses services se mettent à fabriquer des faux-papiers, transformant ainsi - à partir de la fin 1942 - des jeunes gens soumis au Service du Travail obligatoire (STO) en parfaits étudiants. En novembre 1942, la ville est occupée par les Italiens. Animé par le groupe local de "Franc-Tireur", se constitue à la même époque, dans le Vercors tout proche, et grâce à l'afflux progressifs de réfractaires au STO, un maquis qui devient bientôt un symbole de la Résistance.

En septembre 1943, les Allemands remplacent les Italiens. La véritable occupation commence. L'essentiel de l'activité de la Résistance devient alors l'instruction et l'armement des réfractaires du STO qui, peu à peu, viennent gonfler les effectifs des maquis organisés dans les forêts et les massifs qui entourent Grenoble. Progressivement instruits, les groupes francs des Mouvements unis de Résistance (MUR) passent aussi à l'action, détruisant les transformateurs et les lignes électriques, enlevant le fichier local du STO et volant de nombreux stocks d'explosifs. Parallèlement, le 11 novembre 1943 donne lieu - malgré les injonctions du gouvernement de Vichy - à une grève quasi générale et à une manifestation devant les officines locales de la collaboration. 600 manifestants sont arrêtés parmi lesquels près de 400 sont déportés. Pour supprimer une ressource en armement aux troupes allemandes, Aimé Requet, adjoint du capitaine Nal devenu chef des groupes francs, fait sauter, le 13 novembre dans la nuit, le parc d'Artillerie du Polygone, provoquant, chez l'ennemi et dans la population, un violent choc psychologique.

Rendant coup pour coup, l'occupant intensifie la répression sous la forme d'arrestations et de d'assassinats qui touchent de nombreux résistants dans ce qu'on a appelé la "Saint-Barthélémy grenobloise". Mais le 2 décembre 1943, la caserne de Bonne qui sert de nouvel arsenal aux Allemands explose à son tour grâce à une nouvelle action des groupes francs, aidés par Aloyzi Kospicki, polonais engagé de force dans la Wehrmacht. Les sabotages industriels et ferroviaires se multiplient.
Début 1944, le Comité départemental de libération de l'Isère est constitué.

Le 4 mai 1944, le général de Gaulle signe le décret décernant la croix de la Libération à la ville de Grenoble. Quelques jours plus tard, les Forces françaises de l’Intérieur (FFI) de l'Isère sont placées sous les ordres du commandant Alain Le Ray. Le débarquement en Normandie annonce l'apogée de l'action directe des résistants de la région grenobloise dont les innombrables coups de mains gênent considérablement les troupes allemandes, bloquant les axes de circulations autour de Grenoble. Le débarquement du 15 août 1944 en Provence contraint les Allemands à abandonner la ville dans la nuit du 21 au 22 août, non sans avoir préalablement massacré une cinquantaine de prisonniers au Polygone où l'on découvre, au lendemain de la libération, un effroyable charnier de victimes de la Gestapo. Le 22 août au matin, les FFI puis les troupes américaines entrent dans Grenoble. La ville aura compté dans sa population 840 fusillés, plus de 2 000 hommes tués au combat, autant de disparus et 1 150 déportés dont la moitié ne sont pas revenus.

Le 5 novembre 1944, à l’occasion de sa première visite dans Grenoble libérée, le général de Gaulle remet au maire, Frédéric Lafleur, la croix de la Libération de la ville. À titre individuel, sept Grenoblois (Jacques Bourdis, Émile Ginas, Charles Mauric, André Morel, Pierre Ruibet, Jean Silvy et Michel Stahl) ont été faits compagnon de la Libération. La ville est également décorée de la croix de guerre 39/45 avec palme.

Compagnon de la Libération - décret du 4 mai 1944
Croix de guerre 39/45 avec palme

Remise de la croix de la Libération à la ville de Grenoble
© Musée de l'Ordre de la Libération

"Les paroles que Monsieur le Maire de Grenoble vient de prononcer au nom de toute la population de votre grande ville expriment fortement et d’une manière assez émouvante les sentiments que vous ressentez tous ; et j’ajoute que ces sentiments, ce sont les mêmes que toute la France ressent en ce moment dans la période où nous sommes.

Grenoble aujourd’hui libérée, quels malheurs, quelles épreuves cette grande ville a traversés, non point seulement matérielles, mais morales et celles-ci, les épreuves morales, n’était-ce pas les plus dures à subir ? Grenoble a supporté tout cela, mais Grenoble à aucun moment – qui donc le sait mieux que celui qui a l’honneur de lui parler ? – à aucun moment n’a renoncé à soi-même, n’a renoncé à la liberté, à l’espérance, à la Patrie. Aussi, dès qu’elle le put, Grenoble, par ses propres moyens, est apparue libre, au grand soleil, pour se rendre elle-même à la France comme la France voulait qu’elle fût, c'est-à-dire fière et lavée de l’ennemi.

C’est pour ces raisons que le Gouvernement de la République a décidé, dès la fin de l’année 1943, de décerner à la ville de Grenoble, le titre et la qualité éminente des Compagnons de la Libération. L’insigne lui sera remis tout à l’heure.

Mais puisque cette glorieuse cérémonie nous rassemble tous aujourd’hui, je m’en voudrais de ne pas exprimer en deux mots quels sont les sentiments dont nous parlions tout à l’heure, qui animent aujourd’hui la France entière jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à son but : d’abord, la France veut vaincre parce qu’il lui faut vaincre, elle veut que l’ennemi qui l’a outragée, envahie, une fois de plus mise aux portes du tombeau, soit abattu, cette fois irrémédiablement, pour qu’elle-même, la France, puisse vivre. Il faut que nos armées, nos glorieuses armées, celle qui est venue de l’Empire, et celle aussi qui a jailli spontanément du sol national, et qui n’en font qu’une, la grande, l’indivisible Armée française. Il faut que cette armée aille au-delà du Rhin, une fois de plus, dicter à l’ennemi la loi de la liberté.

Mais que serait-ce si nous avions ajouté seulement une victoire militaire de plus à toutes celles dont est tissée notre Histoire, et si nous ne savions par, à l’extérieur et à l’intérieur, en tirer le parti qu’il faut pour que cette victoire, au moins, nous serve à quelque chose ?

A l’extérieur, il faudra que nous sachions en tirer les fruits et que le drame qui a failli nous submerger une fois encore ne se reproduise plus, que les sécurités de la France soient placées de telle sorte que personne ne puisse y porter atteinte, la renverser et nous viser au cœur. Il faudra aussi que soit établie dans le monde, avec de vrais amis, une solidarité assez ferme, nette et puissante, pour que l’ennemi n’y revienne pas.

A l’intérieur, c’est un immense effort qu’il va nous falloir faire tous et toutes ensemble. Qui donc ne le sent pas profondément ? C’est une France qu’il faut bâtir dans la rénovation nationale, une France nouvelle, au point de vue de ses institutions politiques, de manière à ce que le régime qui régit le pays, que ce régime ne paralyse pas lui-même, par la façon dont il joue, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, qui constituent les pouvoir de l’Etat. Il faut aussi, n’est-il pas vrai, que la France se renouvelle, au point de vue de la mise en valeur du grand, du riche pays que nous sommes, de l’immense empire que nous avons, et qui appelle, pour le faire renaitre, les ressources profondes de la jeunesse française.

C’est un renouveau économique que nous devrons faire tous et toutes ensemble, sur nos terres, notre sous-sol, enfin un renouveau social, et je ne puis le résumer autrement qu’en disant ceci : il ne faut plus, n’est-ce pas, qu’une fraction de la nation française, puisse se sentir étrangère à la nation, il faut que tous les Français, sans limitation, que tous ceux qui sont nés sur notre sol, soient intégrés à la Patrie, au même titre les uns que les autres. N’est-il pas vrai que c’est ce que nous voulons faire ? Et pour cela, nous voulons faire en sorte que tous les enfants de la France puissent vivre, lever la tête, élever leur famille, travailler dans la dignité et la sécurité humaines.

Voilà ce qu’il faut que nous sachions pour faire réellement une France unie, digne de l’idéal qu’elle a toujours servi, et qu’elle veut servir encore, et capable de réaliser la grande œuvre que tout le monde attend. C’est ainsi que, fraternellement, à force d’efforts, et comme couronnement de nos sacrifices, ceux de Grenoble comme ceux de toutes nos villes et de tous nos villages de France, tous ensembles, nous remettrons la France à sa place. Vive la France !"
 

« Ville héroïque à la pointe de la résistance française et du combat pour la libération. Dressée dans sa fierté, livre à l'Allemand, malgré ses deuils et ses souffrances, malgré l'arrestation et le massacre des meilleurs de ses fils, une lutte acharnée de tous les instants. Bravant les interdictions formulées par l'envahisseur et ses complices, a manifesté le 11 novembre 1943, sa certitude de la victoire et sa volonté d'y prendre part. Le 14 novembre et le 2 décembre 1943, a répondu aux représailles et à l'exécution des chefs des mouvements de la résistance, par la destruction de la poudrière, de la caserne, de transformateurs et d'usines utilisés par l'ennemi. A bien mérité de la Patrie. »
(Grenoble, Compagnon de la Libération par décret du 4 mai 1944).

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